Dans les coulisses de Notre-Dame de Paris


Depuis 850 ans, la grande dame blanche règne sur le coeur des Parisiens. De l’architecte aux organistes en passant par les sacristains, rencontre avec ces hommes et ces femmes qui, au quotidien, font vivre l’un des plus importants symboles de la chrétienté.

Le jour se lève à peine. Sur le parvis de Notre-Dame réchauffé par les premières lueurs matinales, ils sont déjà une vingtaine à patienter. Quelques habitués se reconnaissent et discutent. Tous viennent assister à la première des cinq messes du jour. La plupart sont retraités, d’autres travaillent dans le quartier et profitent de l’occasion pour venir prier avant de se rendre au bureau. Il est 7 h 45 précises quand le portail Sainte-Anne, le plus ancien de la cathédrale, s’entrouvre.Dans l’entrebâillement où l’on devine déjà la grandeur des voûtes éclairées, Joachim Irudayanathan apparaît, un énorme trousseau de clés à la main.

Unique résident de Notre-Dame, Joachim est surnommé, à raison, le gardien de la cathédrale. Chaque jour, l’une de ses responsabilités consiste à ouvrir et fermer l’un des bâtiments les plus fréquentés au monde – on estime le nombre de visiteurs annuel à plus de 20 millions sur le parvis et 14 millions à l’intérieur (plus que le Louvre, la tour Eiffel ou même la Grande Muraille de Chine). Joachim connaît chaque membre du personnel de la cathédrale, des architectes aux organistes en passant par les équipes d’entretien, et il n’y a pas une seule porte de ce bâtiment de 4 800 mètres carrés qui ne lui résiste. Quand on lui demande s’il aime son métier, il répond avec un sourire timide, empreint d’humilité. «Il y a vingt-huit ans maintenant que je travaille ici, d’abord comme sacristain, puis comme gardien depuis neuf ans, raconte-t-il avec sa bonhomie naturelle. Après tout ce temps, l’émotion de garder un tel lieu est toujours la même.»

Chaque année, 20 millions de visiteurs découvrent la cathédrale

Cette fierté de servir la «grande dame blanche», on la retrouve chez toutes les personnes qui la font vivre. Comme chez M. Dos Santos, le chef de l’équipe de ménage. Chaque matin, alors que les premiers visiteurs commencent à déambuler dans les bas-côtés encore déserts, lui et ses employés terminent de briquer les bancs et le parterre. En quelques heures seulement, ils doivent s’assurer de la propreté de ce vaste lieu. Et aujourd’hui plus qu’un autre, tout doit être parfait. Car en ce premier vendredi du mois a lieu la vénération de la sainte couronne d’épines, celle que Saint Louis apporta pieds nus dans la cathédrale, le 12 août 1239, et toujours conservée dans la chapelle du Saint-Sacrement.

Une cérémonie encadrée par les Chevaliers du Saint-Sépulcre, un ordre qui trouve ses origines au XIIe siècle et encore chargé de la garde statuaire de la couronne. L’homme qui supervise cette protection, Renaud de Villelongue, est lui-même chevalier. Habillé de son grand manteau blanc frappé d’une croix de Jérusalem rouge vif, l’homme inspire rapidement le respect par son dévouement total à l’Ordre. «Nous sommes une vingtaine à protéger la couronne, symboliquement, mais aussi physiquement», explique ce DRH à la retraite. Lors de la vénération, la relique est présentée aux fidèles. Ils peuvent alors chacun à leur tour venir embrasser la couronne sous le regard attentif des chevaliers. «Il n’y a jamais de gros problèmes, assure Renaud de Villelongue, seulement parfois des gens un peu illuminés. On les repère vite et on les tient à l’oeil.

S’il y a le moindre geste brusque, on intervient.» Des célébrations comme celle-ci, Notre-Dame de Paris en accueille plus d’une dizaine chaque année. Elles viennent compléter les messes et les vêpres quotidiennes. Ce calendrier chargé nécessite une logistique sans faille. Une organisation qui repose en grande partie sur les épaules des sacristains. Ils ont pour tâche de gérer tout le matériel nécessaire à la vie d’une église ou d’une cathédrale: le choix des différentes aubes des prêtres, les coupes, les hosties et le vin de messe. Une organisation extrêmement rigoureuse, car le bon déroulement des offices et de ces célébrations reste la principale des préoccupations. D’autant que certaines d’entre elles sont retransmises en direct à la télévision.

Depuis 2004, la cathédrale s’est dotée d’une régie située dans une mezzanine, dissimulée aux yeux du public. De son perchoir, François Rousselet, réalisateur pour KTO (une chaîne de télévision catholique), s’occupe seul de diriger une dizaine de caméras pour diffuser sur les ondes les grands moments de la vie de Notre-Dame.Mais la régie n’est pas le seul lieu «secret» de la cathédrale. À 90 mètres au-dessus des visiteurs s’élève la flèche, construite lors de la restauration par Viollet-le-Duc en 1860. Sommet de l’édifice, elle offre une vue imprenable sur les bords de Seine, mais rares sont ceux autorisés à s’y rendre. Benjamin Mouton, architecte en chef des Monuments historiques et en charge de la cathédrale, a la chance de pouvoir y accéder. «C’est forcément un immense honneur pour moi de travailler dans ce qui est une véritable prouesse de l’art gothique. Mais cela comporte également d’importants défis…» L’un d’entre eux: la sauvegarde de la roche, devenue de plus en plus friable à cause de la pollution parisienne.

Un chantier qui mobilise des dizaines d’artisans

Au sein de la cathédrale, les problèmes de rénovation et d’entretien se posent à tous les niveaux. Marie-Hélène Didier est conservatrice pour la Drac, la Direction régionale des affaires culturelles. Elle supervise, entre autres, la restauration des objets pieux et des reliques. Des interventions chirurgicales qui peuvent susciter le concours de compétences diverses, techniques comme scientifiques, et ainsi devenir un véritable casse-tête. L’un des nombreux chantiers en cours concerne le grand orgue de la cathédrale, l’un des plus célèbres en France. Mais là encore, d’autres aptitudes sont sollicitées. Dans l’enchevêtrement du monumental instrument datant du XVIIIe siècle, Philippe Guyonnet est à l’oeuvre.

Accroupi au milieu des 7 374 tuyaux de cette gigantesque machinerie, ce facteur d’orgues salarié de la cathédrale accorde les différents jeux d’anches. Un travail nécessitant une minutie et une oreille hors pair. En effet, chaque tuyau émet une fréquence différente, de 16.500 Hz à 30 Hz. En plus de celui-ci, actuellement en rénovation, Notre-Dame dispose d’un autre orgue, plus petit mais tout aussi prestigieux, situé dans le choeur. Il accompagne également les différentes cérémonies, ainsi que les spectacles musicaux qui prennent place dans l’enceinte de la cathédrale. Plusieurs fois dans l’année, des concerts sont donnés par la maîtrise de musique sacrée, où des enfants recrutés sur le volet suivent un cursus de chant approfondi en parallèle à une scolarité adaptée. Une autre des nombreuses facettes de la vie tumultueuse de la cathédrale.

Joyau de l’île de la Cité, Notre-Dame fêtera bientôt ses 850 ans lors du jubilé, qui démarrera le 12 décembre prochain et se déroulera jusqu’au 13 novembre 2013. L’occasion de donner le jour aux projets les plus fastueux, le plus emblématique de ces travaux étant sans doute la rénovation et le remplacement des cloches.

Un grand jubilé fêté pendant toute une année

En mars prochain, huit nouvelles cloches rejoindront Emmanuel, le bourdon baptisé par Louis XIV afin de redonner à la cathédrale la voix qu’elle mérite. Chacune de ces cloches porte un nom symbolique dans la religion chrétienne: Gabriel (comme l’archange) ; Anne-Geneviève, Denis et Marcel (pour la mère de la Vierge Marie et les patrons de Paris) ; Maurice (en référence au fondateur de la cathédrale) ; Jean-Marie et Benoît-Joseph (en l’honneur du cardinal Lustiger et du pape né Joseph Ratzinger) ; et enfin Etienne (pour le nom de la première cathédrale de Paris). Au cours de ce jubilé, Notre-Dame s’attend à recevoir plusieurs millions de visiteurs. Une structure particulière a été bâtie sur le parvis de la cathédrale afin d’offrir aux visiteurs et aux pèlerins une vision unique de l’édifice.

Des projets qui s’ajoutent à la masse importante des tâches dont Notre-Dame doit s’affranchir quotidiennement.Car si pour le simple visiteur, Notre-Dame est d’abord le plus prestigieux des édifices de notre patrimoine, c’est aussi «une véritable PME», selon les termes employés par Mgr Jacquin, archiprêtre et recteur de la cathédrale. Et si la cathédrale est une entreprise, il en est le patron. «Notre-Dame est une confluence de beaucoup d’institutions et de compétences qui doivent apprendre à vivre ensemble pour faire vivre ce magnifique monument. Et ce, quelles que soient leurs professions, ou même leur foi.» En effet: une cinquantaine de personnes travaillent à Notre-Dame, mais c’est sans compter la centaine de bénévoles présents.

Parmi eux, Jean-Pierre Cartier, professeur d’histoire à la retraite, en charge de la coordination liturgique des cérémonies. Depuis trente-cinq ans, il participe à la vie de la cathédrale et connaît ses moindres recoins, ses moindres mythes et légendes. Mais encore aujourd’hui, Notre-Dame continue de le surprendre. Sur le toit du grand orgue, devant la rosace occidentale, Jean-Pierre Cartier se fige l’espace d’un instant. Il s’arrête sur des détails de vitraux qu’il n’avait pas remarqués jusque-là. «Même après tout ce temps, elle continue de nous étonner», confie-t-il. C’est sans doute cela, la magie de Notre-Dame.

Le Figaro

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