Une catastrophe nationale : la vente des Diamants de la Couronne en 1887

En cette période où l’inaliénabilité des œuvres conservées dans les collections publiques est menacée, il peut être utile de rappeler, avec l’aide des travaux de M. Bernard Morel, la vente lamentable des Diamants de la Couronne organisée par l’Etat en 1887. Elle amputa vertigineusement le patrimoine national.

La collection des Diamants de la Couronne fut constituée de façon délibérée en 1530 par François Ier qui isola un petit groupe de huit pierres ou bijoux en sa possession et les déclara inaliénables. Ils furent inventoriés ainsi : « Ce sont les bagues que le roy François Ier de ce nom a donné et donne à ses successeurs à la couronne de France et veult que à chascune mutacion, l’inventaire d’icelles ensemble leur apréciacion, poix, paincture, plomp soient vériffiez en leur présence, affin qu’ils baillent leurs lettres patentes obligatoires de les garder à leurs successeurs à la couronne ». Ce premier fonds dont il ne subsiste que le rubis dit la Côte-de-Bretagne fut considérablement augmenté par la suite, particulièrement par Louis XIV. Les pierres furent parfois mises en gage mais furent toujours récupérées. Le trésor fut amoindri par le célèbre vol qui eut lieu, dans la semaine du 11 au 17 septembre 1792, à l’hôtel du Garde-Meuble de la Couronne, à Paris, où il était conservé. Mais il fut de nouveau augmenté sous Napoléon, de telle sorte qu’il comprenait, en 1814, 65 072 pierres et perles, la plupart montées en bijoux, soit 57 771 diamants, 5 630 perles et 1 671 pierres de couleur (424 rubis, 66 saphirs, 272 émeraudes, 235 améthystes, 547 turquoises, 24 camées, 14 opales, 89 topazes).

Mis à l’abri pendant la guerre de 1870, les Diamants de la Couronne furent exposés avec succès à Paris en 1878, à l’occasion de l’Exposition universelle, puis en 1884, au Louvre, dans la salle des Etats, Mais déjà ils étaient menacés, non par appât du gain mais par haine de la monarchie. La République encore fragile voulut priver à jamais les prétendants de la possibilité d’utiliser les Diamants de la Couronne. L’adversaire le plus efficace de ces derniers fut le fils de Raspail, le député Benjamin Raspail. Il déposa à la Chambre en 1878 une motion demandant la vente, qui fut approuvée, en juin 1882 seulement, par 342 voix contre 85. La même année 1882, fut nommée une commission d’experts chargés de préparer la vente ; elle proposa et obtint heureusement d’épargner quelques pierres et perles qui furent attribuées au Louvre (le Régent, la Côte-de-Bretagne), au Muséum d’histoire naturelle et à l’Ecole des Mines. Après des discussions au Sénat, la loi d’aliénation, adoptée en décembre 1886, fut publiée au Journal officiel le 11 janvier 1887, étant signée par Jules Grévy, président de la République, et par Sadi Carnot, ministre des Finances : « Les diamants, pierreries et joyaux faisant partie de la collection dite des Diamants de la Couronne (…) seront vendus aux enchères publiques. Le produit de cette vente sera converti en rentes sur l’Etat ».

A ce moment, la collection, riche de 77 486 pierres et perles, comprenait deux groupes de bijoux : le premier, le plus ancien, datant de la Restauration et le second exécuté sous le Second Empire, les Diamants de la Couronne n’ayant pas été utilisés sous la monarchie de Juillet. Au cours de la Restauration, Louis XVIII fit remonter pour ses nièces, la duchesse d’Angoulême et la duchesse de Berry, les parures exécutées pour Marie-Louise : ainsi la vente de 1887 comprenait-elle la parure de rubis et diamants, la parure de saphirs et diamants, la parure de turquoises et diamants et le diadème en émeraudes et diamants exécutés pour ces princesses, qui avaient servi aussi à l’impératrice Eugénie. Quant aux bijoux exécutés sous le Second Empire, ils débordaient d’opulence et d’imagination. C’est en particulier à l’occasion de l’Exposition universelle de 1855 que Napoléon III fit faire par les plus grands joailliers parisiens des joyaux magnifiques : une couronne pour lui, dont la monture fut brisée et fondue au moment de la vente, une couronne pour l’Impératrice, des bijoux fastueux pour celle-ci, notamment un nœud de ceinture en diamants se terminant par deux glands et une parure de feuilles de groseillier en diamants, comprenant une guirlande servant de collier, un tour de corsage et un devant de corsage. D’autres œuvres admirables furent créées dans les années suivantes, tels le peigne à pampilles en diamants (1856), le diadème russe (1864), le diadème grec (1867). On aurait pu tout avoir encore…

La vente se déroula au Louvre, dans la salle des Etats, en neuf vacations, du 12 au 23 mai 1887. Ce fut un échec financier. L’apparition sur le marché d’une telle quantité de pierres ne pouvait que les déprécier. La provenance historique des pièces, si importante commercialement de nos jours, ne fut pas prise en considération. La collection vendue était estimée à 8 000 000 F. or environ. Elle fut mise à prix à 6 000 000 F. L’Etat ayant déboursé 293 851 F. pour organiser la vente, la recette effective ne monta qu’à 6 927 509 F. Décevante pécuniairement, la vente fut désastreuse sur le plan historique, sur le plan minéralogique, étant donné la qualité de certaines pierres qu’on ne trouve plus maintenant, et sur le plan artistique, tant de chefs-d’œuvre de la joaillerie française disparaissant en même temps. Car tout concourut à faire perdre aux pierres leur identité : pour faciliter les achats, les éléments des parures de la Restauration furent vendus séparément, les décorations de Napoléon III furent démontées, la parure de feuilles de groseillier fut éparpillée. Les acheteurs furent principalement des bijoutiers (Boucheron, Bapst Frères, Tiffany etc), qui achevèrent de dépecer la plupart des joyaux pour en réutiliser les pierres.

Il ne reste plus maintenant qu’à s’efforcer d’évoquer ce qu’a été ce trésor qui a accompagné l’histoire de la France. C’est une des missions que s’est donné le Louvre : réintégrer dans les collections nationales les joyaux qui peuvent avoir survécu, quand c’est possible. Quelques opérations ont été encourageantes. La paire de bracelets de la parure de rubis et diamants, achetée 42 000 F par Tiffany, a été léguée au Louvre par un grand collectionneur, Claude Menier, en 1973. La couronne de l’Impératrice, rendue à celle-ci en échange de la valeur de différentes pierres que Napoléon III avait achetées sur sa cassette et remises au fonds des Diamants de la Couronne, a été donnée au Louvre en 1988 par M. Roberto Polo. Le diadème en perles et diamants exécuté par Gabriel Lemonnier pour l’Impératrice l’année de son mariage, en 1853, vendu 78 100 F en 1887, fut acquis en 1890 par Albert, prince de Tour-et-Taxis, à l’occasion de son mariage avec l’archiduchesse Marguerite, et a été conservé par leurs descendants jusqu’à la vente de la collection Tour-et-Taxis à Genève en 1992 où il a été acquis par la Société des Amis du Louvre (ill.) . C’est encore elle qui a acheté pour le Louvre à Paris, en vente publique, en 2001, l’élégante parure en or et mosaïques romaines exécutée par Fançois-Regnault Nitot, joaillier de l’Empereur, pour Marie-Louise, en 1810, vendue 6 200 F en 1887. Le Louvre a pu enfin se porter acquéreur du diadème en émeraudes de la duchesse d’Angoulême déjà mentionné ci-dessus, vendu 45 900 F, qui, lui aussi miraculeusement préservé, se trouvait dans une collection anglaise. D’autres espoirs sont permis. Il subsiste aussi en effet, en mains privées, le diadème de la parure en rubis, présenté au Louvre en 1962 par Pierre Verlet à l’exposition Dix siècles de joaillerie française. Mais l’éblouissant nœud aux deux glands évoqué ci-dessus, proposé par Sotheby’s à Londres en 2002, a échappé au Louvre, malgré l’assistance d’un mécène. Provisoirement, il faut le souhaiter. Il n’est pas toujours facile de réparer les dégâts.

La Tribune de l’Art

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